mardi 23 avril 2024

Statut de réfugié Opposition à mariage forcé Côte d'Ivoire

 

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE 

24002156 

  19 avril 2024 


(6ème Section, 2ème Chambre)



"...Sur la demande d’asile

1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du  protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute  personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se  trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut  se réclamer de la protection de ce pays ».  

2. Un groupe social est, au sens de cet article, constitué de personnes partageant un  caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur  conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue  comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. L’appartenance à un  tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres, ou,  s’ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs proches, de leur appartenance à ce groupe. 

3. Dans une population au sein de laquelle le mariage forcé est couramment pratiqué  au point de constituer une norme sociale, les jeunes filles et les femmes qui entendent se  soustraire à un mariage imposé contre leur volonté constituent de ce fait un groupe social.  L’appartenance à un tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation  par ses membres de leur appartenance à ce groupe. Il appartient à la personne qui sollicite la  reconnaissance de la qualité de réfugiée en se prévalant de son appartenance à un groupe social  de fournir l’ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques et  sociologiques, relatifs aux risques de persécution qu’elle encourt personnellement. 

4. Il ressort des sources d’informations publiques disponibles qu’en Côte d’Ivoire, si  l’article 4 de la loi n° 2019-570 du 26 juin 2019 relative au mariage confirme le principe du  consentement des deux époux au mariage et que le mariage forcé, qu’il soit civil, coutumier ou  religieux, est désormais constitutif d’un délit au titre de l’article 439 du nouveau code pénal  ivoirien, alors que sous l’empire de l’article 378 du code pénal, il ne l’était que pour les  personnes âgées de moins de 18 ans forcées d’entrer dans une union coutumière ou religieuse,  le durcissement de la législation relative au mariage forcé en Côte d’Ivoire n’affecte pas la  permanence de ce phénomène. Le rapport de mission de l’OFPRA et de la Cour en Côte d’Ivoire  publié en mai 2013 indique que la pratique perdure notamment au sein des ethnies du Nord du  pays, zone où sont présents les Koulangos, ethnie à laquelle la requérante appartient, et  principalement parmi les communautés musulmanes. Selon le rapport de mission de l’OFPRA  et de la Cour en Côte d’Ivoire de 2019, qui souligne que l’expression mariage forcé s’entend  principalement au sens de mariage précoce en Côte d’Ivoire, où les mariages arrangés constituent la norme, indique que, selon l’« Enquête à indicateurs multiples 2016 - MICS5 », parmi les femmes de 20-49 ans, 8,4% ont été mariées avant quinze ans et 32,1% avant  dix-huit ans. De plus, il ressort du rapport du Commissariat général belge aux réfugiés et aux  apatrides du 25 octobre 2018, intitulé « COI Focus. Côte d’Ivoire. Le mariage forcé », toujours  d’actualité, que les unions imposées sont rarement dénoncées aux autorités car « porter un tel  différend familial devant une institution judiciaire peut s’avérer long, coûteux et délicat pour  l’équilibre de la famille », et, par conséquent, que « [les dénonciations] qui aboutissent à une  décision judiciaire sont exceptionnelles ». Cette note ajoute que les femmes qui refusent un  mariage forcé risquent d’être rejetées par leur famille ou leur communauté. Dès lors, les femmes  ivoiriennes qui refusent de se soumettre à un mariage imposé contre leur volonté ou tentent de  s’y soustraire constituent un groupe social au sens des stipulations de la convention de Genève  et sont susceptibles d’être exposées de ce fait à des persécutions. 5. Mme O, de nationalité ivoirienne, née le 5 mars 1995, soutient qu’avec son fils mineur Ibrahim O, né le 11 novembre 2021, elle craint, en cas de retour  dans son pays, d’être persécutée ou risque d’être exposée à une atteinte grave du fait de sa  famille et de son époux en raison de son appartenance au groupe social des jeunes filles et des  femmes qui se sont soustraites à un mariage imposé dans une population au sein de laquelle le  mariage forcé est couramment pratiqué au point de constituer une norme sociale, sans pouvoir  bénéficier de la protection effective des autorités. Elle fait valoir qu’elle est musulmane, originaire de Daloa et qu’elle appartient à l’ethnie koulango. A l’âge de 14 ans, elle a été mariée  de force, par son père, à un homme de quarante ans et a été contrainte de renoncer à ses études. 

Après son mariage, elle a vécu à Abidjan, pendant trois mois, puis elle est tombée enceinte. Elle  a déménagé avec son époux à Daloa où elle a accouché d’une fille en décembre 2010. Elle a  subi de mauvais traitements de la part de son époux et a déposé plainte à la police en vain. En  2012, son époux a quitté le domicile conjugal avec leur fille à la suite d’une violente altercation  au sujet du projet d’excision de cette dernière auquel elle était opposée. Elle s’est alors enfuie  à Bouaké, chez une amie, où elle est restée quatre ans. Elle a repris ses études grâce à la mère  de son amie qui a payé ses frais de scolarité. Au cours d’une conversation téléphonique avec sa  sœur, elle a appris par son époux, qui était présent aux côté de cette dernière, qu’il la recherchait  pour la tuer. Elle a quitté la Côte d'Ivoire, le 13 novembre 2016, grâce à l’aide financière de la  mère de son amie. Elle s’est rendue au Mali où elle a rencontré le père de ses deux fils, ivoirien  originaire dOdienné. Son fils aîné est né en Libye en janvier 2018. Elle a appris l'excision de  sa fille. En 2020, sa famille a rompu tout contact avec elle après l’annonce de la naissance de  son fils. Elle a quitté la Libye en août 2021 pour l’Italie 2021. Son second fils est né en Italie le  11 novembre 2021. Elle est arrivée en France avec ses deux fils le 18 juillet 2023.  

6. Les déclarations circonstanciées et personnalisées de Mme O permettent  d’établir les circonstances ayant prévalu à son départ de Côte d’Ivoire. Elle a dépeint en des  termes personnalisés son environnement familial en revenant sur l’importance des traditions  dans sa famille en précisant, notamment, que toutes les femmes de la famille avaient été  soumises à un mariage forcé. La requérante a livré des explications concrètes et cohérentes sur  le contexte dans lequel elle avait appris, à l’âge de quatorze ans, sa future union avec un voisin  de vingt-cinq ans son aîné, en fournissant à l'audience des précisions sur le déroulement de la  cérémonie de son mariage. Les circonstances de son départ à Daloa ont été rapportées de façon  circonstanciée et personnalisée ainsi que les violences conjugales qu’elle a subies à compter de  son arrivée dans cette localité en raison de son refus d’avoir des relations intimes avec son  époux. Ses demandes d’aide à sa famille, de même que son dépôt de plainte à la police restées sans suite ont, en outre, fait l’objet d’un récit étayé. Elle est revenue en termes consistants sur  les circonstances de sa fuite à Bouaké, à la suite d’une altercation violente avec son époux au sujet de l’excision de sa fille au cours de laquelle elle a été blessée, et sur les conditions dans  lesquelles elle avait été recueillie, puis hébergée, pendant quatre ans par la mère d’une amie. Ses déclarations se sont, en outre, révélées spontanées et étayées sur la façon dont elle avait  appris, au cours d’une conversation téléphonique avec sa sœur, que son époux la cherchait pour  la tuer. C’est également par un récit empreint de vécu qu’elle a relaté les circonstances dans  lesquelles sa famille avait rompu tout contact avec elle, à l’exception de sa sœur, à la suite de  la naissance de son fils aîné en 2018 puis qu’elle avait appris l’excision de sa fille. Ainsi,  Mme O craint avec raison, au sens de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève,  d'être persécutée, en cas de retour dans son pays, du fait de sa famille et de son époux en raison  de son appartenance au groupe social des jeunes filles et des femmes qui se sont soustraites à  un mariage imposé dans une population au sein de laquelle le mariage forcé est couramment  pratiqué au point de constituer une norme sociale, en l’absence de toute protection crédible des  autorités. Dès lors, Mme O et l’enfant Ibrahim O, dont le cas est  indissociable de celui de sa mère, sont fondés à se prévaloir de la qualité de réfugié. 

Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991

7. Mme O ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son  avocat peut se prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les  circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Seguin renonce à percevoir la somme  correspondant à la part contributive de l’État, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA la 

somme de 1200 (mille deux cents) euros à verser à Me Seguin...." 






Denis SEGUIN

Avocat

Spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit



lundi 18 mars 2024

Réunification familiale Refus de visa Délégation autorité parentale

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF 

DE NANTES 


N° 2305974 

Mme S

Décision du 18 mars 2024 


Tribunal administratif de Nantes 

(9ème Chambre)

“...Considérant ce qui suit : 

1. Mme Salima D…, ressortissante guinéenne, née le 12 juin 1988, s’est vu  reconnaître la qualité de réfugié par décision de l’Office français de protection des réfugiés et  apatrides (OFPRA) du 30 mars 2018. Des visas de long séjour ont été sollicités pour Moustapha  B et Mohamed M B, qu’elle présente comme ses enfants, nés respectivement les  12 mars 2008 et 11 avril 2011, en qualité de membres de famille d’une réfugiée, auprès de  l’autorité consulaire à Dakar (Sénégal), laquelle, par des décisions du 31 janvier 2023, n’a pas  fait droit à leurs demandes. Par une décision implicite née le 17 avril 2023, dont Mme D demande l’annulation, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée  en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. 

Sur les conclusions à fin d’annulation

2. Aux termes de l’article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers  et du droit d'asile : « En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le  recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312- 7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. (…) ». 

3. Pour rejeter le recours préalable formé à l’encontre de la décision consulaire, la  commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France doit être regardée  comme s’étant fondée sur les motifs retenus par la décision consulaire, tirés de ce que, d’une  part, les intéressés ne justifient pas de leur identité et de leur situation de famille et, d’autre part,  les documents produits lors du dépôt des demandes de visas ne permettent pas de justifier que  le lien de filiation n’est établi qu’à l’égard de la personne qu’ils entendent rejoindre en France,  ou que l’autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux, ou qu’ils auraient été confiés  à la personne qu’ils entendent rejoindre en France au titre de l’autorité parentale, en vertu d’une  décision d’une juridiction étrangère. 

4. Aux termes des dispositions de l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour  des étrangers et du droit d’asile : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public,  le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice  de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de  la réunification familiale : (…) 3° Par les enfants non mariés du couple, n’ayant pas dépassé  leur dix-neuvième anniversaire. / (…) / L’âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la  demande de réunification familiale a été introduite. ». Aux termes des dispositions de l’article  L. 561-5 de ce code : « Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la  protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une  durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent  sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil  justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection  subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les  éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou  authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de  l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de  l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du  contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ». 

5. La circonstance qu’une demande de visa de long séjour ait pour objet le  rapprochement familial des enfants d’une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas  obstacle à ce que l’autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant,  sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, sur un motif d’ordre public. Figure au nombre  de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien  matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l’appui des demandes de visa.  

6. Aux termes de l’article L. 811-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et  du droit d’asile : « La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les  conditions définies par l’article 47 du code civil (…) ». Aux termes de l’article 47 du code civil :  « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les  formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données  extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne  correspondent pas à la réalité ».  

7. Il résulte de ces dispositions que la force probante d’un acte d’état civil établi à  l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est  irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l’administration de la valeur probante  d’un acte d’état civil établi à l’étranger, il appartient au juge administratif de former sa  conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu’un acte  d’état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu’il soit irrégulier, falsifié ou  inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le  cadre de l’instruction du litige qui lui est soumis. 

8. Il n’appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le  bien-fondé d’une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où  le jugement produit aurait un caractère frauduleux. 

9. Aux termes de l’article L. 561-4 du même code : « Les articles L. 434-1, L. 434-3  à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale  n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de  logement. ». Aux termes de l’article L. 434-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et  du droit d’asile : « Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants  mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint si, au jour de la demande : 1° la  filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint 2° Ou lorsque l'autre parent  est décédé ou déchu de ses droits parentaux ». Et aux termes de l’article L. 434-4 du même  code : « Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans  du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre  de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d’une décision d’une juridiction étrangère. Une  copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser  le mineur venir en France ». 

10. D’une part, il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement des extraits  du registre des actes de naissance, dressés le 11 novembre 2015 par un officier d’état civil de  la commune de Boké, et des jugements supplétifs n°631 et 653 des 23 et 28 avril 2015, tenant  lieu d’actes de naissance, dont les mentions sont concordantes avec celles figurant sur les  passeports des intéressés, que les jeunes M B et Mo M B sont les  enfants de Mme Diaby. Si le ministre de l’intérieur et des outre-mer fait valoir que les dates et  lieux de naissance des parents ne sont pas mentionnés sur ces jugements supplétifs et sur les  actes de naissance pris en transcription, il n’indique pas quelles dispositions de droit local  auraient ainsi été méconnues. Par suite, l’identité de ces enfants et leur lien de filiation avec  Mme Diaby doivent être regardés comme établis.  

11. D’autre part, il ressort également des pièces du dossier, et notamment d’un  jugement de délégation de l’autorité parentale du tribunal de première instance de Boké, n°186,  du 2 décembre 2022, non contesté par le ministre, qu’à la demande du père des enfants, faisant  valoir qu’il ne disposait, lui-même, plus de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins,  l’exercice de l’autorité parentale à leur égard et leur garde ont été confiées à Mme D. S’il  n’est pas contesté qu’à la date de la décision attaquée, Mme D n’avait pas produit  d’autorisation de sortie du territoire signée du père des enfants, le jugement du tribunal de  première instance de Boké, n°186, du 2 décembre 2022 lui a, comme il vient de l’être dit, confié  la garde des enfants. Dès lors qu’à la date de ce jugement, Mme Diaby résidait en France, et  que ce jugement, qui se fonde sur l’intérêt supérieur des enfants, a été rendu à la demande de leur père, celui-ci doit être regardé comme ayant autorisé ses enfants M et M Ma à rejoindre leur mère sans lui. La circonstance que ce jugement n’ait été versé au  dossier qu’au stade du recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission  de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est sans incidence, la saisine  de cette commission ayant pour effet de dessaisir l’autorité consulaire et de lui donner  compétence pour se prononcer sur les demandes de visas en litige. Dans ces conditions, et alors  que l’administration n’apporte aucun autre élément de nature à démontrer que les jugements  produits seraient frauduleux, la commission de recours contre les décisions de refus de visa  d'entrée en France n’a pu, sans entacher sa décision d’illégalité, refuser de donner une suite  favorable au recours formé contre la décision de refus du visa sollicité.  

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens  de la requête, que Mme D est fondée à demander l’annulation de la décision attaquée. 

Sur les conclusions à fin d'injonction : 

13. Le présent jugement implique nécessairement qu’il soit procédé à la délivrance  du visa sollicité, au profit de M B et M M B, dans un délai de  deux mois suivant sa notification…”. 


Denis Seguin

Avocat 

Spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


lundi 11 mars 2024

Statut de Réfugié Bangladesh Conflit foncier Persécutions Hindouisme

 

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE,N° 23056976 , 8 mars 2024 


(5ème Section, 2ème Chambre)

“...Considérant ce qui suit :  

Sur la demande d’asile

1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du  protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute  personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se  trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut  se réclamer de la protection de ce pays ».  

2. M. P, de nationalité bangladaise, né le 25 août 1987, soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou de subir une atteinte grave, en cas de retour dans son pays  d’origine, du fait de militants du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), en raison de sa  confession hindoue, sous couvert d’un conflit foncier. Originaire du village de Nij DakshinBag  dans le district de Moulvibazar, il fait valoir qu’il est issu de la minorité hindoue. Sa famille  possédait un commerce, des terres et un restaurant nommé « hôtel cinq étoiles ». A partir de  2018, il a fait l'objet de racket de la part de trois membres du BNP qui voulaient également  spolier les terres familiales. En avril 2020, il a été victime d'une agression qui a nécessité une  brève hospitalisation. A son retour, son magasin était détruit et il a dû le reconstruire. Le 26  juin 2020, il a de nouveau été victime d'une attaque, en présence de son père et de son frère. Le  5 février 2021, il a été agressé par ces mêmes individus. En octobre 2022, son épouse a échappé  de peu à une agression à caractère sexuel. Le 25 mars 2023, une rixe a opposé des partisans du  BNP et de la Ligue Awami. Il a appris que l'un de ses agresseurs du BNP avait perdu la vie. Il  a alors appris qu'il était considéré comme suspect et que la police était venue à son domicile. Il  s'est alors réfugié dans la division de Chittagong. Il a quitté son pays le 15 mai 2023 et est arrivé  en France le 21 juin 2023. 

3. Les déclarations précises et circonstanciées de M. P, notamment celles faites  au cours de l’audience devant la Cour, ont permis de tenir pour établie sa confession hindoue  et de conclure au bien-fondé de ses craintes pour ce motif en cas de retour au Bangladesh. En  effet, sa confession hindoue a été établie par l’Office et n’est pas remise en cause par la Cour. 

A ce sujet, il a démontré une connaissance certaine et appuyée des préceptes religieux hindous  et a été en mesure de relater précisément sa pratique religieuse et la situation de la  minorité hindoue dans sa localité. Par ailleurs, il a livré des informations précises sur la façon  dont son agresseur, qui convoitait ses biens en raison de son appartenance à la communauté  hindoue, et qui été membre de la Ligue Awami, a progressivement réussi à s’emparer du terrain  agricole familial par la force. Il a également tenu un discours précis s’agissant des démarches  entreprises afin de résister à son agresseur et de faire valoir ses droits, notamment en se rendant  au commissariat, à deux reprises, en vain. Il s’est exprimé en des termes tangibles sur les deux  agressions qu’il a subies le 26 juin 2020 et le 5 février 2021 et les pressions psychologiques  dont il a été victime en raison de sa résistance à l’accaparement de ses biens. Il a également  évoqué de façon précise l’agression que son épouse a subie en octobre 2022. 

De surcroit, les circonstances dans lesquelles il a été impliqué dans une affaire controuvée, à la suite d’un  affrontement entre deux groupes rivaux de la Ligue Awami le 24 mars 2023, et accusé à tort  par son agresseur qui souhaitait lui nuire, ont été exposées avec tout autant de clarté. En outre,  ses déclarations s’inscrivent dans un contexte avéré, corroboré par les sources d’informations  publiquement disponibles. Le rapport annuel du Département d’Etat américain sur la liberté  religieuse au Bangladesh du 12 mai 2021 et le rapport du Minority Rights Group, intitulé  « Under threat : The challenges facing religious minorities in Bangladesh », publié en  novembre 2016, soulignent en effet que les minorités confessionnelles au Bangladesh,  notamment la communauté hindoue, sans faire l’objet de persécutions générales et  systématiques, constituent des groupes vulnérables. Ces minorités confessionnelles se trouvent  particulièrement exposées à l’intimidation et aux pratiques discriminatoires émanant de  membres de la majorité musulmane de la population et sont susceptibles d’être exposées à des  persécutions concrétisées notamment par des violences physiques, des dégradations et des  destructions de lieux de culte, des accusations de blasphème et des spoliations de biens sans  que les autorités publiques s’y opposent de manière efficace. Ces mêmes sources soulignent  également que les violences ciblant la communauté hindoue sont fréquemment liées à des  questions foncières. Sur ce point, le rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile  (EASO) intitulé « Country of Origin Information Report – Bangladesh, Country Overview »,  publié en décembre 2017, rappelle que la population hindoue du Bangladesh est passée  d'environ 23 % en 1971 à environ 9 % en 2016, principalement en raison de problèmes liés aux  conflits fonciers, au harcèlement et aux agressions occasionnelles dont est victime cette  communauté. Ce rapport recense un nombre important d'attaques contre les hindous et de  nombreux actes de vandalisme visant des habitations, des temples, des monastères et des  statues hindoues pour la période de janvier à septembre 2017 et indique que les conflits fonciers  ont parfois touché de manière disproportionnée les minorités religieuses, en particulier la  communauté hindoue. Ainsi, il résulte de ce qui précède que M. P craint avec raison, au  sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour  dans son pays en raison de son appartenance à la communauté hindoue. Dès lors, il est fondé à  se prévaloir de la qualité de réfugié...".




Denis SEGUIN

Avocat

Spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


Statut de réfugié Opposition à mariage forcé Côte d'Ivoire

  COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE  N° 24002156    19 avril 2024  (6 ème Section, 2 ème Chambre) "...Sur la demande d’asile :  1. Aux te...